Management et santé au travail : un équilibre à construire

Mis à jour le 07/10/2021

C’est dans un contexte de forte mutation des entreprises affiliées au régime agricole que, sous l’impulsion de leurs élus, les services Santé Sécurité au Travail des MSA de Bretagne ont organisé en 2019 deux colloques sur le thème du management et de son lien avec la santé au travail.

Les réflexions des participants au colloque


Les évolutions souhaitées, consenties ou subies par les entreprises entraînent des transformations importantes au niveau du travail des équipes de salariés, des managers et des dirigeants, parfois des pertes de sens, le cas échéant l’apparition de mal être au travail.
La manière dont les dirigeants abordent et animent ces mutations, la façon dont les perspectives des entreprises sont tracées, la façon dont les managers s’emparent et accompagnent ces transformations d’entreprise, tout cela interfère sur le management et pose la question de son lien avec la santé au travail.

Le travail et la compréhension de la façon dont nous le réalisons était le fil rouge de ces deux colloques.
Que mobilise-t-il ? Qu’engage-t-il ? Comment peut-il être mis en tension ?
Doit-on en discuter dans les équipes de travail ?
Quel rôle pour les managers ?
Le travail doit-il se conformer à une approche descendante où il suffirait d’appuyer sur « Enter/Input » pour que la tâche attendue se réalise ?


Chacun dans leur registre, les intervenants ont expliqué ce qui se jouait au et dans le travail.
Morceaux choisis…

 

Qu’est ce que travailler ?

par Erwann Le Bezvoët psychologue clinicien

Quel que soit la profession exercée, travailler consiste évidemment à engager son corps dans l’action, mais pas seulement.
C’est toute la personne qui s’engage dans la réalisation du travail. Selon nos caractéristiques individuelles, nos centres d’intérêts, nos croyances, notre état interne, la façon dont on va appréhender le travail diffère.
Si celui-ci s’inscrit dans un cadre défini, s’il est régi par un ensemble de procédures et de règles (le « travail prescrit »), la stricte application de ces procédures ne suffit souvent pas à la réalisation du travail.
Là où il se trouve, l’opérateur doit faire face à l’aléa, gérer le dysfonctionnement d’une machine, prendre en compte la variabilité d’une matière première, gérer un dossier incomplet, faire face à des clients aux exigences variables…
Par conséquent, la personne au travail « réinterprète » les consignes, ruse et coopère avec d’autres pour que le travail attendu se fasse.
L’atteinte du résultat ne traduit jamais comment l’opérateur s’y est pris pour réaliser la tâche, le « travail réel » reste souvent invisible s’il n’est pas mis en discussion.
L’écart nécessaire entre le travail prescrit et le travail réel situe la dimension opérative de la personne au travail. Du statut que l’on accorde à cet écart et de la considération de la stratégie opératoire déployée, dépend notamment le fait de se sentir bien dans son travail.
Voir la vidéo de l'intervention
 

Le management empêché

par Matthieu Detchessahar, universitaire professeur de management

Au sein des organisations, au moment même où les salariés affrontent des contraintes accrues dans leur travail, consécutives notamment à une multiplication des objectifs de performance (maîtrise des coûts, qualité, réactivité, innovation permanente…) et au développement de l’activité servicielle, le management déserte la scène de travail.

Alors que les équipes auraient plus que jamais besoin d’une présence de l’encadrant pour expliciter les contraintes, les hiérarchiser, écouter les difficultés, arbitrer les contradictions, comprendre les injonctions paradoxales ou remonter les difficultés du travail au sommet de la pyramide hiérarchique, le management est absorbé par d’autres tâches très chronophages.
Le travail du manager apparaît donc comme empêché.

Très occupé sur le front de l’entretien et de l’alimentation des « machines de gestion », le manager est mobilisé par les systèmes d’information qui le sollicitent pour mettre à jour des procédures, remonter des indicateurs, renseigner des plannings de personnels et d’activité, rédiger des comptes rendus…
Il est aussi également attendu sur des projets transversaux, des groupes de travail, des comités de pilotage initiés par les équipes dirigeantes.
Les directions qui affrontent elles aussi des contraintes externes de plus en plus marquées, mobilisent l’ensemble de leur ligne hiérarchique pour produire des réponses à ces contraintes externes.
Au final, ce travail au chevet des « machines de gestion » crée une situation paradoxale dans laquelle, jamais autant d’information n’a été disponible et n’a circulé dans les organisations, et, dans le même temps, jamais l’on a eu aussi peu de temps pour parler du travail…

Dans ces conditions, «désempêcher» le management constitue un enjeu de santé au travail. Cela requiert de redonner du temps, des moyens et de la valeur aux activités centrées sur le travail. Une telle orientation interroge directement les directions et leur capacité à créer les conditions d’un management restauré.

Ce dernier passe notamment par la capacité des managers à mettre le travail en discussion de telle façon que les produits des discussions soient transmis vers les directions et trouvent des déclinaisons concrètes dans les modes d’organisation.

Cette orientation invite les entreprises à évoluer vers une ingénierie des espaces de discussion et ne peut se faire qu’avec l’aval et l’implication des directions garantes des conditions de mises en œuvre. Ces espaces de discussion supposent tout autant que les managers soient à l’aise et correctement outillés pour animer ce type d’espace de partage. Les échanges y étant centrés sur l’activité concrète et sur le travail réel des acteurs, l’animation de la discussion postule que le manager connaisse l’activité, gage de sa légitimité et de sa capacité à se saisir des problèmes…
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Le témoignage de l’entreprise ICOOPA

Initié depuis près de 5 ans, le projet de l’entreprise prend racine dans le repérage de difficultés dans les équipes (échanges verbaux inappropriés, non prise de congés, indicateurs RH qui se dégradent …).
La direction et les partenaires sociaux de l’entreprise s'accordent alors pour mener une action de fond pour aborder les difficultés. L’exploration est conduite en partenariat avec un consultant ergonome.

Des groupes de retours d’expérience entre pairs sont mis en place. Des temps de discussion sur le travail sont instaurés et visent à permettre le récit d'expériences de travail. Au travers de ce récit, les participants partagent les situations rencontrées, les difficultés auxquelles ils font face, ce qu’ils tentent de faire, ce que ça produit, la manière dont l’organisation fait ressource ou non… Ces temps constituent des temps de reconnaissance du travail des personnes et de transformation des difficultés rencontrées par des individus en question pour le métier.

Petit à petit, les managers, principaux acteurs de régulation des équipes et du travail, se repositionnent dans le travail réel mis en débat collectivement. Les organisations du travail s’adaptent aux besoins des équipes et les managers font à nouveau soutien pour leurs équipes. La démarche permet de redonner du sens à ce qui est fait en n’excluant pas la notion de performance et de fidélisation du client.

Cette transformation, forcément progressive, se joue sur le long terme. Elle se fait sous l’impulsion de la direction et emporte avec elle tous les niveaux de l’entreprise.

Le récit des différents niveaux hiérarchiques de l’entreprise à la table ronde permet de visualiser la démarche poursuivie. Il est parsemé d’exemples permettant de comprendre l’intérêt des temps de discussion sur le travail et les changements organisationnels associés à la démarche.
Voir la vidéo de la table ronde
 

Selon la fonction occupée dans l’entreprise ou au sein de l’organisation,
en quoi la question du lien entre management et santé au travail interpelle ?

Pourquoi agir ? Voici quelques pistes évoquées en atelier :


Pour les dirigeants :
  • aider à avoir une vision réaliste de la situation de l’entreprise par rapport au sujet,
  • mieux décrypter sur quels registres fonctionne l’humain au travail, relativiser l’approche mécaniste,
  • comprendre les freins inhérents aux difficultés à mobiliser, à entraîner les équipes dans des projets nouveaux,
  • créer les conditions pour que les salariés trouvent ou maintiennent un sens à leur travail, le lien avec un management vertueux,
  • travailler sur l’ingénierie des espaces de discussion,
  • ...

Pour les managers intermédiaires :
  • mieux décrypter sur quels registres fonctionne l’humain au travail, relativiser l’approche mécaniste,
  • apprendre à questionner ou à re-questionner le travail en s’appuyant sur l’activité réelle,
  • comprendre les difficultés, les freins inhérents aux difficultés à mobiliser, à entraîner les équipes dans des projets nouveaux,
  • concilier performance et construction de la santé au travail,
  • créer les conditions pour que les salariés trouvent ou maintiennent un sens à leur travail,
  • travailler sur l’ingénierie des espaces de discussion, et sur le positionnement du manager dans l’animation de ces espaces,
  • ...

Pour les membres des IRP :
  • en lien avec les restructurations, les réorganisations, comprendre les impacts sur le management, et incidemment de celui-ci sur la santé des salariés,
  • mieux décrypter sur quels registres fonctionne l’humain au travail,
  • instruire la remontée des informations et documenter les questions,
  • travailler sur l’ingénierie des espaces de discussion,
  • ...
Voir la vidéo de la restitution des ateliers